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De quoi les enfants de 4 ans ont-ils besoin?

Depuis le début de la campagne électorale provinciale 2018, si un sujet a fait couler beaucoup d’encre, et ce dans tous les types de médias confondus, c’est bien la maternelle 4 ans  à temps plein. Puisque la CAQ a été élue avec une grande majorité, je pense qu’il est important de faire un retour sur ce sujet afin de se demander ce dont les enfants de 4 ans ont réellement besoin. Je ferai appel ici à la compétence 12 en enseignement, afin de poser un regard critique et éthique sur ce sujet. J’exposerai les aspects historiques de la maternelle 4 ans, les arguments de qualité des services, de la formation des enseignants du préscolaire et du primaire, les raisons économiques et l’aspect politique de cette question, afin de mieux vous expliquer mon opinion.

 

D’abord, il est important de commencer par l’historique de la maternelle 4 ans. En fait, ce n’est pas nouveau cette idée de proposer la maternelle 4 ans. Elle a d’abord été offerte à temps plein pour les enfants de milieux défavorisés (TPMD) dans les années 1970. Rappelons, qu’à l’époque, les CPE n’étaient pas encore implantés. C’est en 2000, qu’un moratoire a été déposé afin de développer le réseau des CPE. Les retombées de ces maternelle 4 ans TPMD étaient alors applaudies. Plus tard, en 2013, le Parti Québécois, sous Pauline Marois, a déposé son projet de la maternelle 4 ans pour tous. Ils ont démarré un projet pilote avec l’ouverture de la classe de maternelle 4 ans à l’école St-Zotique, dans le sud-ouest de Montréal. L’objectif était d’ouvrir 100 classes supplémentaires jusqu’en 2016. Elles monteront alors à 186 au total.

 

Parallèlement, un groupe de chercheurs en éducation de l’UQAM se penchait sur la question. Une lettre ouverte écrite par ces chercheurs, intitulée « De quoi les enfants de 4 ans ont-ils besoin? »  https://qualitepetiteenfance.uqam.ca/tous-les-medias/113-lettre-ouverte-exclusive.html

 

Ils se sont positionné sur l’aspect principal de la qualité des services offert aux enfants de 4 ans. En effet, ils soulèvent que, depuis les années 2000, le Québec a fait le choix de développer le réseau des CPE et puisque beaucoup d’argent y a été injecté, que beaucoup de temps y a été accordé soit en recherches, formations, aménagements, réflexions, etc. qu’il serait plus adéquat de poursuivre dans cette voie. Pendant ce temps, l’ensemble de la population ne semble pas du même avis, le débat a été relancé par le gouvernement Marois, plusieurs lettres ouvertes, articles, débats ont eu lieu. Mon attention s’est arrêté sur l’article d’Amélie Daoust-Boisvert paru au journal le Devoir.https://www.ledevoir.com/societe/education/478147/la-maternelle-4-ans-sous-la-loupe  Pour ce qui est de la qualité des services, je me range totalement du côté des chercheurs, et je suis convaincue qu’il serait tout à fait adéquat de poursuivre le développement des CPE afin de mieux répondre à tous les enfants de 4 ans. Nous avions traité cette question en débat lors de notre cours de DDM-3550 à l’automne 2014 et nous avions dû ressortir les arguments en faveur de la maternelle 4 ans pour tous et ceux en défaveur. Parmi les arguments soulevés, mon opinion s’accordait des arguments soulevés par les chercheurs deux années plus tard. En effet, puisque les CPE ont développé une expertise en terme de formation, de programme, d’aménagement et de ressources; ils sont plus à même de mieux répondre aux besoins des enfants de 4 ans. Les classes sont très rarement conçues en fonction des enfants du préscolaire. Au mieux, elles sont adaptées. Alors que dans les CPE, les locaux ont été réellement conçu pour les enfants de 0 à 5 ans. Nos écoles ont du mal à conserver un état adéquat pour continuer d’accueillir les élèves et on pense qu’elles seront en mesure d’ouvrir de nouvelles classes aussi bien adaptées que les locaux des CPE. Je ne comprends pas que cette équation soit recevable.

 

À propos de la formation des enseignants, elle est vraiment bien structurée pour répondre aux besoins des enfants de 5 à 12 ans. La formation ne prévoit pas de s’attarder aux besoins des enfants de 4 ans. Faisons une parenthèse sur la comparaison des ratios: en CPE, c'est un éducateur pour dix enfants, alors qu'au préscolaire c'est une enseignante pour vingts enfants ET une éducatrice pour l'autre portion de la journée. Les enfants de 4 ans ont donc à s'habituer à deux adultes dans un ratio deux fois plus grand... Fin de la parenthèse. En effet, lorsque nous comparons le descriptif des deux programmes, nous pouvons observer que la technique d’éducation à l’enfance prévoit plus de 1000 heures de formation axée directement autour des besoins des enfants de 0 à 5 ans. Ceux-ci portent notamment sur le développement des enfants de 0 à 5 ans, leur sécurité en milieu de garde, la saine alimentation, l’autonomie, la santé, les besoins particuliers, etc. Tandis que du côté du Bac en Éducation préscolaire et enseignement primaire tous les cours couvrent l’ensemble des enfants de 5 à 12 ans, d’une manière générale. Donc, à titre d’exemple, dans un cours comme la didactique de l’univers social de 45 heures, en plus des notions d’univers social il y a tous les aspects du niveau de compréhension des enfants de 5 à 12 ans à couvrir. Très peu de temps est dédié aux enfants de 5 ans pour chacun de ces cours Et cela est représentatif pour tous les cours. Deux cours de 45 heures et un stage de 5 semaines portent sur le préscolaire. Encore une fois, je ne comprends pas que cette équation soit recevable.

 

Pour ce qui est des raisons économiques, je ni économiste ni fiscaliste, mais je suis d’avis que l’argent investi dans le développement des Centres à la petite enfance serait mieux servi si nous continuions d’investir dans ceux-ci. En effet, continuer dans ce qui a déjà été développé coûtera moins cher que de devoir créer de nouvelles classes bien adaptées aux besoins des enfants de 4 ans.

 

Sans oublier la fameuse question politique, il faut souligner le fait qu’en 2013, alors que gouvernement Marois promettait 100 000 nouvelles places en CPE, le projet des maternelles 4 ans était mis sur la table. Ce n’était pas un hasard à mon avis, il fallait bien les créer ces places et en retirant les enfants de 4 ans des CPE. C’est une décision complètement politique, sans vraiment être économique, ou à très court terme. En effet, en offrant 100 000 places en CPE rapidement, cela donne une vision politique tournée vers les enfants. Cependant, j’aimerais souligner le fait que jamais dans ces propositions le gouvernement, Marois ou Legault, a appuyé son projet à partir de recherches en éducation. Bien entendu, des recherches pour les maternelles 4 ans TPMD ont été amenées, mais de là à l’étendre sur l’ensemble des enfants de 4 ans, il ne s’agit plus des mêmes contextes de recherches.

 

À mon avis, c’est une décision purement politique, afin de gagner des votes, sans assises scientifiques. Je pense que ce projet mérite d’être analysé d’une manière plus large et soutenu par la recherche et le contexte, et cela peu importe le parti au pouvoir. En effet, nous avons ce contexte particulier au Québec: le développement du système des CPE depuis les années 2000, et nous l'avons bien réussi! Mondialement, ce système est reconnu et observé par les spécialistes de l’éducation. Nous devons en être fiers et poursuivre dans cette voie!

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Commentaires: 4
  • #1

    Carole Raby (jeudi, 29 novembre 2018 09:39)

    Valérie,
    Ton billet soulève de nombreux enjeux au regard des maternelles 4 ans.
    Un point m'intéresse particulièrement... La bonification de la formation des enseignants à l'éducation préscolaire.
    Quelle serait la meilleure voie ? Ajouter des cours durant le baccalauréat ? (et là, il faudra en couper puisque le bacc. de 4 ans est plein...) Créer un programme de bacc.-maitrise en 5 ans ? Promouvoir la formation continue ? Il ne semble pas y avoir une solution facile... mais il faut en trouver une pour contribuer à offrir aux enfants le meilleur environnement d'apprentissage possible...
    Au plaisir de te lire de nouveau...
    Carole

  • #2

    Valérie (jeudi, 29 novembre 2018 09:55)

    Carole,
    Je ne crois pas qu'il soit possible de sabrer dans les cours du Bac en ÉPEP encore...

    Je pensais que le DEC-BAC (un DEC en Éducation à l'enfance ET un Bac en Éducation préscolaire et enseignement primaire) pourrait être une meilleure option. Cependant, j'ai eu vent que le DEC-BAC n'était plus disponible... Je n'en sais pas plus, mais j'ai l'impression qu'il faudrait revoir la formule rapidement. Mais avant d'ouvrir ces classes de maternelle 4 ans, il faudrait justement penser à la formation! C'est insensé d'ouvrir ces classes sans avoir un plan pour la formation...

    Mais, malgré la formation, le point qui m'inquiète encore plus c'est l'aménagement de ces classes, ces cour d'école et ces salles de bain pour les maternelle 4 ans. Déjà les locaux et les écoles sont insuffisants ou ont besoin de rénovation majeures, ils sont souvent mal adapter aux besoins des enfants de 5 ans: encore moins pour les enfants de 4 ans!

    Ces deux points sont majeurs à mon avis et demandent une réflexion profonde. Le gouvernement actuel précipite trop les choses, et je le rappelle: sans fondements basés sur la recherche!

    Au plaisir d'échanger davantage!
    Valérie

  • #3

    Pauline Macé (jeudi, 29 novembre 2018 20:34)

    Salut Valérie,

    J'ai enfin eu le temps de lire ton billet. Je vois que tu as étudié le sujet. Effectivement, les locaux d'une école ne sont pas adaptés pour recevoir les enfants de cet âge.
    Moi-même, et cela fait plus de trente ans, je suis allée à l'école maternelle dès l'âge de deux ans (tu l'auras peut-être deviné, je suis originaire de France). Les classes étaient, somme toute, adaptées et nous avions des sanitaires à notre taille, mais ouvertes et qui ne respectaient absolument pas notre intimité (autre lieu, autre époque!). Bref, comme tu peux le constater je ne suis pas traumatisée. Mais il est certain que je me serais sentie beaucoup mieux dans un petit groupe avec une personne adulte qui aurait créé un vrai lien avec moi, tout en respectant mon rythme de développement. Car oui, nous faisons des apprentissages toute notre vie. Mais en ce qui concerne les enfants de 0 à 5 ans, je préfère parler d'exploration, de jeu et de découverte. Je ne dis pas qu'un ou une enseignante de maternelle 4 ans ne développerait pas ce lien privilégié, mais il n'aurait certainement pas le temps d'accorder toute l'attention que chaque enfant requiert à cet âge. L'enfant de 4 ans commence tout juste son chemin vers l'autonomie. Comment gérer l'habillement seul de tous les élèves? J'ai deux enfants et ma grande fille a toujours été autonome, mais à 4 ans on a la maturité de 4 ans... En France, dans chaque classe de Maternelle (Petite section, enfants de 3 ans et parfois moins, moyenne section, 4 ans et grande section, 5 ans), l'enseignante est aidée chaque jours d'une aide maternelle, je ne sais plus quel est le titre de la profession aujourd'hui.
    Comment le gouvernement québécois pourrait offrir ce type d'aide, avec quel budget et sachant qu'il n'y a pas de formation offerte pour cette profession spécifique? De plus, comme tu l'as dit, les écoles sont déjà surchargées. Les CPE sont tout à fait adaptés et j'espère de tout mon cœur que le nouveau gouvernement le comprenne et investisse dans le réseau.

    P.S. J'ai travaillé 4 ans dans un organisme enfance-famille qui accueille, notamment, des groupes d'enfants de 3 à 5 ans. Ils viennent toute la journée, deux fois par semaine. Il y a l'animatrice du groupe, une aide animatrice et une éducatrice spécialisée en formation, pour prendre en charge les enfants à défis particuliers. Elles accueillent un maximum de 11 enfants par groupe. Je peux t'assurer que trois personnes ne sont pas de trop pour permettre d'offrir un programme d'activités et d'éveil stimulant aux enfants, être disponibles pour les petits bobos du cœur et les autres... Et gérer les pipis quotidiens, les accidents, les vomis, les habillages et déshabillages, les lavages de mains...

    Bonne soirée et au plaisir de te rencontrer, à l'université ou dans une école primaire.

    Pauline

  • #4

    Liliane Basque (samedi, 01 décembre 2018 08:58)

    Bonjour Valérie,
    Ton titre est très évocateur: «De quoi les enfants ont-ils besoin?»
    Selon moi, ils ont besoin de s'épanouir dans un environnement sécuritaire, paisible et amusant. Les apprentissages faits ne doivent pas être forcés. En ce sens, je crois que l'environnement familial, les CPE ou l'école peuvent y répondre. Par contre, si l'enfant doit aller dans un milieu éducatif, je crois que les CPE offrent un milieu moins stressant. On y respecte plus le rythme de chaque enfant et on prend le temps... Du moins, c'est ce que j'observe, car je travaille en CPE l'été depuis 2010.
    Je crois que certaines classes de maternelle 4 ans peuvent être très adaptées aussi, mais il est important que les enseignantes et la direction s'efforcent de respecter le programme établi. On ne doit pas en profiter pour rendre l'expérience scolarisante...
    Personnellement, j'ai fait une technique en éducation spécialisée avant de faire un retour aux études en enseignement. Je trouve que ma technique vient combler un grand manque dans la formation initiale universitaire. Si j'étais ministre de l'Éducation, je réfléchirais à une façon de faire, un peu comme tu disais, une passerelle DEC-BAC ou du moins, un pré-universitaire en éducation obligatoire avant le BAC. Je crois qu'une technique en éducation spécialisée ou à l'enfance est plus pertinente et formatrice qu'une formation générale en sciences humaines...
    À suivre...